" La Traversée de la Meije "

Le Cheval rouge sous le grand Pic
Le Cheval rouge sous le grand Pic

La Meije est "LA" montagne de l'Oisans. "Meidjo"qui veut dire midi en provençal. Une montagne considérée comme l'un des sommets les plus ardus des Alpes. Pierre Gaspard Guide à St Christophe et Emmanuel Boileau de Castelnau, jeune homme Languedocien de noble lignée furent les premiers debout au sommet du grand Pic en août 1877. Les Anglais qui ne rêvaient que de ce sommet invaincu durent se rabattre sur la première traversée des arêtes avec la cordée J.-H. Gibson, U. Almer et F. Boss.

C'est précisément cet itinéraire qui est devenu au fil des années, la course classique difficile du massif et considérée à juste titre comme l'une des plus belles des Alpes.

Les prétendants qu'ils soient amateurs, clients ou professionnels, vivent chaque année leur entrée en Meije, comme un moment très particulier. Je décris ici en 4 actes, une des nombreuses traversées que j'ai eu la chance de vivre avec mes compagnons.

La Traversée.

Acte 1 - Refuge du Promontoire 4h du matin. Les frontales s'allument, la porte s'ouvre, le froid est vif et les étoiles sont au rendez-vous. On déplie doucement la corde, le noeud est bien serré, quelques anneaux de buste bien arrêtés et quelques-uns à la mains. Impossible de se louper, le départ est situé entre le refuge et les toilettes !

"C'est parti !"

Les gestes s'enchaînent tranquillement. Nous sommes bien synchronisés. Le repérage de la veille met en confiance. Voilà le mur raide. "OK, tu m'assures ?" Le Pas du Crapaud (4b) court mais physique est vite avalé.

On remonte le fil de l'arête sur un rocher magnifiquement moutonnée puis les dalles inclinées viennent à buter sous un grand ressaut raide.

On respire un peu. C'est le Campement des Demoiselles : "Ca va ? Tu te sens bien ?" - "Génial !"

La lampe balaye à nos pieds une grande zone d'ombre. Nous arrivons dans le Couloir Duhamel. "Attention de ne pas zipper, tu as de la glace par endroits ! " Prudemment, nous grimpons rive gauche puis rive droite. Encore un petit effort et nous arrivons aux terrasses au pied de Pyramide Duhamel.

Un air glacial se met à souffler légèrement. Les lumières de l'Alpe d'Huez brillent encore mais les étoiles cèdent peu à peu la place à un ciel blafard. Le jour se lève.

"On boit un coup chaud"?

Acte 2 - Muraille Castelnau Nom de nom qu'elle est impressionnante cette Muraille Castelnau ! Nous marchons ensemble sur la large dalle peu inclinée qui mène au pied de la paroi. Après quelques mètres en traversée et un pas de descente, nous voilà dans le vif du sujet. Les prises de cette dalle Castelnau diminuent de grosseur et l'usure des prises oblige à une concentration importante pour un passage à mon sens sous-coté (3b). Sacré Gaspard, quelle audace !

Nous suivons la grande vire inclinée puis grimpons tantôt ensemble tantôt en relayant. Le vide se creuse. Voilà le passage du Dos d'Ane (3c) protégé par un clou d'époque puis après un "boulevard" et une cheminée retord, la Dalle des Autrichiens nous apparaît lumineuse et évidente. Soit on remonte une fissure à droite dans laquelle on s'emploie à ne pas trop forcer (4b) soit on s'élève directement au dessus du relai par un passage d'une incroyable modernité : Il se réalise tout en finesse, les pointes arquées sur les réglettes, les doigts remontant doucement une fine lézarde. "P... mais c'est dur !"(5b) et offre une nouvelle leçon d'humilité.

Nous rejoignons l'arête puis le Pas du Chat (3b) qui donne accès à la cheminée. Quelques piles d'assiettes et passages tout en finesse plus tard, les pieds cherchent à la descente les prises d'une dalle inclinée menant aux vires du Glacier Carré.

Acte 3 - Glacier Carré et sommet du Grand Pic. Crampons aux pieds, nous constatons que le Glacier Carré est en neige dure. On ne s'imagine pas un instant perdre l'équilibre glisser tant le vide est impressionnant. Sous un soleil généreux nous dessinons lentement une diagonale qui nous mène au pied du Grand Pic.

Dans ces hautes contrées l'air remontant de la face nord est glacial. "Une goutte de thé ?" Nous longeons l'arête prudemment car le verglas recouvre par moment le rocher (3a).

Plusieurs zigs et zags plus tard, nous arrivons à une zone moins raide. Le collet caractéristique se nomme le Cheval Rouge. Une dalle fine et glissante permet de se rétablir et de relayer à califourchon sur l'arête (3c). "Ça sent le sommet ! "

Un petit surplomb aérien mais pourvu de bonnes prises, le Chapeau du Capucin (3c) et on se surprend à cavaler sur l'arête qui mène au sommet du Grand Pic. Ici tout est calme; La Vierge nous accueille avec bienveillance. 3983m. Congratulations mon ami ! C'est l'heure de casser la graine.

Acte 4 - Traversée des Arêtes - Refuge de l'Aigle. La course n'est pas finie. Mieux ! Une deuxième course commence.

Les cordes de rappel s'envolent mais ne s'emmêlent pas. Tant mieux. Trois rappels plus tard nous accédons à la Brèche Zsigmondy. En s'assurant au mieux, nous traversons l’arête effilée crampons aux pieds (3b) et suivons en corde tendue la traversée horizontale des câbles. Affreux et pénible passage qui chaque année semble se déglinguer un peu plus.

La goulotte de glace qui suit peut se grimper câble à la main, piolet dans l'autre. Passage éprouvant. Sous nos pieds nous sentons le vide impressionnant de la face nord.

Enfin nous débouchons sur l'arête ou la caresse du soleil nous apaise. Il y a bien quelques nuages qui commencent à menacer les Ecrins, mais nous décidons d'apprécier ce moment de quiétude.

Traversée, désescalade, rappel... L'un derrière l'autre, les gestes sont plus lents comme pour conserver leurs précisions malgré la fatigue qui se fait sentir. Nous progressons sur l'arête jusqu'à atteindre le Doigt de Dieu, le sommet central de notre ascension. Poser les mains, tester les prises, taper les pointes, débotter. Les gestes sont automatiques, plus un mot n'est échangé... Désescalade, un premier rappel puis un deuxième, attention sauter la rimaye.

Ça y est, nous sommes enfin sur le glacier ! Du plat ou presque. Le Refuge de l’Aigle est là, tout prêt, blotti sur son piton rocheux. Attention il y a quelques belles crevasses à franchir mais l'idée de pousser la porte de la cabane, de sentir l'odeur de la soupe, d'enlever les chaussures et enfin rincer nos gorges asséchées nous comblent déjà d'un bonheur enfantin.

Christophe Kern 


Christophe KERN
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